M. MOUREY contre Mme PORTE
Un article intitulé "A Mme Porte, au sujet d'Alésia" écrit par un partisan d'Alise (Emile Mourey) paru sur Internet apporte une vision sur le sujet susceptible de retenir l'attention du lecteur incident. M. Mourey reprend certains points.
Le premier argument est que le parc archéologique européen consacrant Alise est déjà commencé (coût 50 millions d'euros). On peut ajouter pour conforter cet argument cet autre du même ordre : il y a une rue Vercingétorix aux Laumes, preuve indubitable aussi, moins prestigieuse mais beaucoup moins coûteuse. M. Mourey reproche à Mme Porte de remettre en question l'effort financier des contribuables : M. Mourey utilise avec à propos le principe énoncé par Chamfort : "En France, en cas d'incendie on préfère s'en prendre au sonneur du tocsin qu'à l'incendiaire". Captivé par une telle qualité dialectique le lecteur n'hésite pas à poursuivre sa lecture.
Suit une traduction où "collis" devient "versant" : ni Goelzer, ni L.Quicherat, ni Sommer (latus-eris, dictionnaire français-latin) ne proposent ce sens.
M. Mourey souligne ensuite la série d'incompatibilités de la topographie de Syam avec la description de César. J'aurais mauvaise grâce à le critiquer puisque je l'ai moi-même répertoriée sur mon site depuis deux ans mais à partir d'une étude de Berthier communiquée à M. de Lorgeril début décembre 2009 qui en ignorait l'existence. Il m'a paru étonnant que ce texte fondateur présenté à l'Académie historique de Bourgogne soit inconnu d'un fidèle de Syam. J'avais signalé à M. de Lorgeril que les échelles de carte étaient fausses de moitié et que Berthier avait manqué un site exactement semblable (confluent du Cousin et de la Cure) au portrait-robot. Je ne doute pas que cette hypothèse du Beustiau ne recueille la bienveillante attention de Mme Porte et de M. Mourey. Il est vrai cependant que M. de Lorgeril devait m'adresser un mail où il reprendrait ce qu'il jugeait des erreurs. Il l'a fait par téléphone avec beaucoup d'amabilité et je lui ai montré qu'il ne me paraissait pas inutile qu'il revoie certaines de ses affirmations.
Par exemple il ignorait que des cavaliers germains étaient présents (400) au premier combat de cavalerie du VII-13-I. Je lui ai confirmé par lettre à l'époque, message qui a dû rejoindre la corbeille à papier pluridisciplinaire de mon interlocuteur. Six mois plus tard j'apprenais son décès d'autant plus désolant que M. de Lorgeril ne se refusait pas à faire partager ses enthousiasmes.
Au passage une incise déjà commise : comment se fait-il que les partisans d'Alise ne tirent pas parti de l'ancienne nature du sol de la plaine des Laumes ? En effet il existe une tradition française de la bataille de cavalerie en terrain boueux qu'ainsi le site d'Alise anticiperait) (lauma : endroit bourbeux- Dauzat). Et qu'importe César !
Plus loin M. Mourey nous parle de soleil de l'est, sans doute par opposition au soleil de l'ouest : ad orientem solem : vers le soleil levant.
Mur grossier.: grossier n'est pas dans le texte. Il est vrai qu'on ne voit guère de "maceria" dans la région des Laumes alors que ce genre de petits murs en pierres sèches bien encastrées est répandu dans la région de Sermizelles.
Les Gaulois auraient tracé le fossé (celui devant le mur de l'oppidum) de l'Oze à l'Ozerain. César ne le précise pas, simple oubli probablement.
Au paragraphe suivant M. Mourey reproche à Mme Porte de ne pas vouloir reconnaître le camp nord dans la montagne de Bussy. (On remarquera à cette occasion que "collis" passe brusquement du statut de versant à celui de montagne). Citons : "Pourquoi pensez-vous que la montagne de Bussy ne puisse pas correspondre à la description que confirme la redécouverte du camp romain étudié par Michel Réddé". M. Réddé est un démiurge de l'Alésia alisienne. M. Réddé a l'honnêteté, et c'est rare, de dire qu'il utilise une traduction si c'est le cas : E. de Saint-Denis, § 4 p.54. L'ennuyeux est sa faculté créative. J'ouvre pour faire cette recherche son livre sur Alesia à la page 54. Exemple pris au hasard encore (§ 2) "Après un laps de temps que le récit de César ne permet pas de préciser mais qui doit sans doute être compté en semaines, l'armée de secours arrive". Mais si : César (VII-74-2) ordonne de rentrer pour un mois de fourrage et de blé. Compte tenu que les Romains souffriront néanmoins de la disette (Guerre civile III-47-5 Benoist), César donne quand même un ordre de grandeur assez précis. César indique deux fois ce laps de temps : car Vercingétorix estime (VII-71-4) à 30 jours, guère plus, les vivres des assiégés. (César devait le savoir par les transfuges et les prisonniers d'où la similitude des durées). On voit donc s'étaler ici la compétence de M. Réddé et par voie de conséquence le crédit qu'on peut accorder au développement de ses thèses sur Alésia. Ce genre d'erreurs ne paraît pas émouvoir M. Mourey.
M. Réddé en écrivant que le laps de temps nécessaire à l'arrivée de l'armée de secours doit sans doute se compter en semaine consent au dilemme suivant : ou il sait ce qu'a écrit César et il se donne faussement une perspicacité qu'il n'a pas ou bien il l'ignore, ce qui le maintient dans le cercle d'incompétence qui constitue le meilleur soutien de la thèse alisienne. Revenons à la montagne de Bussy pour constater que M. Réddé écrit le contraire de ce que lui fait dire M. Mourey (p.155).:
" Labienus, de fait, installé sur la montagne de Bussy, avait une vue directe sur le flanc du Réa". Il sauvera ainsi les légats assiégés sur la colline nord". Le camp de la montagne de Bussy découvert par M. Réddé n'est pas le camp nord alors même que la montagne de Bussy correspond parfaitement, selon M. Mourey "à la description pourtant précise de César". On voit que les défenseurs d'Alise, s'ils se contredisent, n'en restent pas moins d'accord sur l'essentiel : quoi qu'il arrive Alise est Alésia.
Le paragraphe suivant s'inscrit dans la stricte fidélité au texte latin de Constans, on l'aurait ignoré sans un détail (VII-86-4) : " Interiores desperatis campestribus locis propte magnitudinem munitionum loca praerupta ex ascensu temptant". Cette constatation n'est certes pas l'expression d'une contestation à propos de la fidélité à la traduction de Constans mais où diable a-t-il trouvé que "temptant" se traduit par "tentèrent". Ni L. Quicherat, ni Goelzer, ni Sommer n'indiquent ce verbe. Il faut lire "tentant". Outre qu'il s'agit du présent de l'indicatif et non du parfait, il y a une erreur de Constans qui méritait d'être relevée.
M. Mourey reproche à Mme Porte de s'étonner de l'absence de crêtes pour accueillir les castella. C'est vrai César ne le dit pas mais pas plus des camps qui pourtant tenaient tous les sommets (VII-80-2). Le début du VII-69-7 peut se traduire : "Les camps avaient été installés aux endroits favorables et 23 castella avaient été construits là".
Deux remarques méritent d'être formulées, une en faveur "des dieux immortels ou de la chance" qui ont ou qui a permis de retrouver sur le mont Bussy (camp de Labienus selon M. Réddé) deux billes de fronde marquées d'un L prouvant bien sa présence et qu'Alise était Alésia. Quelle chance aussi de ne pas en avoir trouvé ailleurs en Gaule où durant 8 ans Labienus occupa des camps et pendant des mois souvent.
Une autre question ne mérite-t-elle pas d'être posée? Si Alésia était une grande ville (dans un espace très restreint) comment se fait-il que César n'ait pas tenté de l'occuper comme il le fit de Besançon au livre I pour en priver Vercingétorix. Pourquoi n'a-t-elle pas été brûlée par les Romains ou les Gaulois ?
Le sort d'Alésia dépend plus que jamais de l'Université dont Georges Frèche donne une idée dans Trève de Balivernes page 95 :
Pourtant, les enjeux sont de taille.
Par exemple, si jamais vous pensiez que la France était LA terre de savoir et de culture par excellence, il va falloir revoir votre copie. Notre première université française(1) est... la 40e mondiale ! Et le classement des meilleures universités, ce n'est pas une université américaine qui le produit et l'annonce chaque année au monde entier, c'est l'université de Jiao Tong, à Shanghai !
Pour info, les trois premières universités au monde en 2009, ce sont Harvard, Stanford et Berkeley.
(1). Classement 2009 : trois universités françaises dans les cent premières (40e : Université Pierre et Marie Curie, Paris-VI ; 43e : Université Paris Sud, Paris-XI ; 70e : École normale supérieure).
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La confrontation de M. MOUREY et de Mme PORTE trouve un prolongement sans aménité superflue dans des considérations de celui-ci à propos de la présence ou non d'un environnement boisé autour d'Alise. Inexistant à Alise en -52 il n'existait pas à Alésia et par conséquent Alésia était bien à Alise. En effet "il n'y avait pas de forêt dans l'environnement du siège". En outre : "les analyses palynologiques et anthracologiques effectuées sur le site d'Alise démontrent que la région était fortement déboisée à la fin de l'âge de fer". Plus loin :"La forêt est extrêmement réduite et les véritables espaces forestiers devaient être très éloignés du site, etc.."
Mme PORTE en réponse considère que la région d'Alésia devait être abondante en ressources forestières. Elle souhaite une consultation des meilleurs latinistes, pourquoi pas, Napoléon III avait demandé son avis à un professeur de latin suédois, mais en même temps invoque l'attitude du Collège de France. Celui-ci à ma connaissance est représenté par un spécialiste de la latinité qui ignore le latin : cela ne le met-il pas de facto en dehors de cette consultation ?
Les fouilles conduites à Alise ont révélé la légèreté des matériaux employés et l'absence de pièces de bois importantes poursuit M. Mourey. Cela démontre que le siège a été conduit avec des fortifications de conception légère et puisque le siège était autour d'Alésia, Alésia était bien à Alise.(Bis repetita..) D'autant que la qualité de l'archéologie moderne ne saurait être remise en cause ! Pas plus d'ailleurs que la qualité du latin de M. Mourey ne serait-ce qu'à cause de sa fidélité à Constans. En résumé M. Mourey rend évident que cette utilisation de bois médiocre (bosquet, friche) exclut les bois nobles utilisés en construction. Constans écrit "qu'il fallait aller chercher des matériaux". Cependant le traducteur besogneux qui consulte son dictionnaire (L.Quicherat) s'avise d'une particularité linguistique que Constans n'approfondit pas, le sens de "materiari" (Caesar) : Faire provision de bois de construction. Voici une nuance que néglige Constans, on le rappelle partisan d'Alise, ce qui entraîne le fourvoiement de ses adeptes dont certains, selon eux-mêmes sont des latinistes éprouvés.
Dans ce contexte, celui de la nature du paysage à Alésia, cette différence prend de l'importance. A-t-elle attiré l'attention de latinistes ? Certes oui, au moins celle de Benoist qui écrit (VII-73-I, note I) : "LXXIII I materiari, exemple unique de ce mot : aller à la provision de bois. Ce mot a d'ailleurs un sens différent de lignari : il exprime l'idée de chercher du bois de construction plutôt que du bois de chauffage."(Voir aussi III-29). "Lignari" (Caes-Liv) faire du bois, aller à la provision de bois (L.Quicherat). Si César a éprouvé la nécessité de créer un mot pour exprimer le fait d'aller chercher du bois de construction c'est qu'il voulait éviter toute ambiguïté ce qui signifiait évidemment la présence de ce matériau dans les environs.
César dans le chapitre 73 souligne, s'il en était encore besoin, le volume du bois employé : "des troncs qui avaient des branches résistantes" d'après Benoist, "très fortes" traduit Constans. Les troncs devaient être très robustes pour porter des branches très fortes. "Stipites (73-3) (troncs). Le tronc alisien serait différent de l'idée habituellement liée au tronc. Il a suivi une cure d'amaigrissement (scientifique). Voir aussi "cippos" (73-4) borne, tronc d'arbre enfoncé dans la terre. Ou encore "des troncs de l'épaisseur d'une cuisse" (73-6). L'archéologie moderne (dont la qualité ne saurait être remise en cause) permet donc de constater que le site d'Alise, faute de forêts, rendait impossible le récit de César du VII-73 et la présence d'Alésia en 52. Gageons que ce ne sera pas un obstacle à cette présence en 2010. Est-il nécessaire de rappeler que, selon César, les contrevallations et circonvallations mesuraient respectivement 11 et 14 "millia passuum" soit un total d'environ 37 km de fortifications et pièges en bois de construction. L'argumentation de M. Mourey a quelque analogie avec le pavé de l'ours.
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