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L'imaginaire au service de l'archéologie

 

Une brève note biographique publiée sur Internet dissuade le lecteur éventuel de M. Reddé de ne pas s'associer à un éloge aussi explicité : quand l'évidence est là il faut bien s'y plier. Les remarques critiques objet de l'étude ci-dessus concernant son "Alésia" ne vont pas dans le bon sens; à Alise l'ouvrage est vendu sur place; telles sont les dures contraintes du marché. D'autant plus que le professeur Reddé, soucieux d'une, déontologie scientifique pointilleuse accélère le cours de l'histoire : sa note ne cite même pas les fouilles d'Alise mais d'Alésia. C'est plus clair.
Les fouilles locales, acharnées à prouver qu'Alise est Alésia, en dépit du texte de César, démontrent que l'identification, au contraire, n'est pas acquise. Si César n'a pas vaincu à Alise ce n'est pas le cas de M. le professeur Reddé :
" An tu non videbas, quam illa crudelis esset futura victoria ?" Pas de science sans conscience. Et celle-ci, on le voit, est la colonne du temple, la plus haute oserait-on dire, s'il était encore besoin de déséquilibrer l'édifice.


M. Reddé antimilitariste et désireux de contribuer à une coopération avec l'Allemagne témoigne d'une aspiration honorable mais qui est trop dans l'air du temps pour ne pas en avoir quelque peu l'esprit. L'air du temps n'est-ce pas aussi hurler avec les loups qui imposent Alésia à Alise ou encore de voir "une force de dissuasion" dans la marine de guerre romaine alors que bien loin de répondre à un antagonisme équilibré et latent, elle était une force conjoncturelle d'anéantissement : delenda est Carthago, etc . tributaire des circonstances, Venètes, pirates etc...
Le nez de Cléopatre était trop long à Actium et dans la "mare nostrum" où les Romains n'avaient par définition personne à dissuader.
Est-ce vraiment judicieux d'habiller le passé à la mode (ou sur le mode) du temps ?

Les navires de guerre romains étaient moins tributaires du vent que d'autres puisque ou à rames, ou à rames et à voile (naves actuariae, naves longae, les naves onerariae étant seulement à la voile). Les spécificités de cette marine étaient dans la rapidité de sa construction (voir la première
expédition en Bretagne ou celle contre les Venètes), sa moindre dépendance à l'égard de la technicité des gabiers. Sa force aussi c'était les fantassins transportés et les cavaliers.
Elle n'obéissait pas au principe (de dissuasion) mais aux événements, conforme à l'esprit pratique des Romains.
Mais citons : (M. Reddé) entreprend la confrontation des données de la Guerre des Gaules de César (des Commentaires sur ...) aux fouilles archéologiques du site d'Alise. "Il faut bien se rappeler que ce texte est le propos du vainqueur et que César y fait parler Vercingétorix", remarque déjà faite au cours de cette étude en particulier à propos de l'accusation de trahison (risible pour M. Reddé) faite à Vercingétorix par les Gaulois durant le siège d'Avaricum. Construction en abîme chère à G. Perec,le narrateur fait parler César qui fait parler Vercingétorix. La vraie question est de savoir si le narrateur ment à propos de César qui mentirait à propos de Vercingétorix. Le plus curieux dans ce court passage est que M. Reddé, qui "a clarifié le dispositif militaire de César", est-ce la chance, sont-ce les Dieux qui ont accordé cette grâce à celui-ci, confronte la Guerre des Gaules (sic) aux fouilles archéologiques d'Alésia (manipulation flagrante puisqu'il s'agit d'Alise). Nul n'ignore que les Commentaires comportent 8 livres et que Vercingétorix n'apparaît que dans le 7ème, faisant pâle figure comparé aux Helvètes du premier livre, d'Arioviste (Ier Livre), d'Ambiorix. Ce n'est donc qu'un 1/8 de l'oeuvre qui peut être comparé aux fouilles. L'avantage est, puisque toute l'oeuvre est confrontée aux fouilles que seul émerge Vercingétorix. Exit Ambiorix à qui, dans une contradiction magistrale, le professeur accorde un mérite égal à Arminius dont, précise-t-il le succès fut -sans précédent!

Il serait dommage de ne pas préciser quelle est la clef de voûte de la pensée de M. Reddé. Ses travaux sont axés sur l'archéologie avec une forte dimension historique. Que voilà une révélation ! Un cuisinier nettoyant ses casseroles avec une forte dimension culinaire ! (Gageons que M. Reddé n'en est pas encore à nettoyer ses casseroles.)
On objectera à ces quelques remarques qu'elles concernent après tout des points de détail. Il faut écarter. une telle insinuation avec horreur. A partir du moment où une critique concerne un élément évoqué par la science, celle-ci lui donne une importance qui eût été indue sinon. Ici il ne s'agit pas de rendre à César mais à Vadius.
Mais il faut savoir reconnaître des fulgurations dignes du grand homme de Sedan et respectueuses de son héritage. Un éclair de cet ordre illumine l'exergue de la notice biographique d'Internet.

"Le choix des fortifications militaires (sans doute en est-il qui ne sont pas militaires) établies par César, lors du siège d'Alésia, un système d'inspiration perse sous l'Empire romain (en 58 av. J.C. on eût pu penser que la république était encore en place, c'est vrai pour peu de temps) dans une oasis du désert". Quel est le point commun ? M. Reddé. Alors qu'on ne nous importune pas sous prêtexte qu'il n'est pas question d'irrigation chez César mais de dérivation (L.VII ch.72-3). L'histoire ici prend sa véritable dimension et remet César à son niveau (d'eau).

Il faut choisir entre César et Napoléon III. (Remarquons que ce dernier n'a pas pensé au concept de force de dissuasion mais que César, en temps de paix, en faisait -de la dissuasion- sans le savoir.) Le mérite de la thèse officielle est d'avoir su rectifier César quand son propos l'éloignait d'Alise.
Aussi prétendre que César savait décaler les faits de façon à ne pas être pris en faute mais il est taxé de mensonge à propos d'illusoires et grossières impostures appréciables qu'à l'aune de leurs inventeurs ne peut être admis par ceux-ci.

Cette étude a signalé deux épisodes où César s'est peut-être écarté du déroulement exact des faits : lors des accusations de trahison portées contre Vercingétorix (VII-20) et au combat de cavalerie dit de la Vingeanne (VII-67).
Un troisième épisode inspire le doute (VII-56-2). César après son départ de Gergovie affiche sa détermination à voler au secours de Labienus (sans parler de la difficulté à repasser Les Cévennes) sous peine de se conduire d'une manière absolument indigne. Il risque d'arriver après la bataille : ce sera le cas. C'est lui qui est en difficulté. Les Éduens se révoltent, Vercingétorix s'est réveillé et ne doit pas être très loin. Labienus n'est pas dans une situation plus difficile que lorsque César l'a envoyé vers Lutèce. Et qui dit que César ne voulait pas, en en privant Labienus, s'octroyer un succès à la place de celui-ci 1 . Cet empressement salvateur, après avoir envoyé son lieutenant dans la gueule du loup, est un peu trop tardif pour ne pas paraître surprenant ou tout au moins inconséquent. Ressentait-il en Labienus un rival possible, moins redoutable certes que M. Reddé vigilant censeur des faiblesses qui le conduisirent à la victoire?

Sans doute pour contrebalancer la surprise créée par l'existence d'une force de dissuasion romaine M. Reddé déclare que cette marine romaine répondait à une nécessité de service public à une époque où celui-ci n'existait pas. Pourquoi César et Cicéron opposent-ils le privé et le public. Pourquoi des impôts Qui se ipsum laudat, cito derisorem invenit.

 


(1) On sait ainsi que selon Plutarque et Appien l'écrasement des Tigurins doit être attribué à Labienus et non à César (cf. Benoist I-XII-7). Constans juge impossible que César ait occulté Labienus. Le côté familial de la revanche sur les Tigurins n'a-t-il pu influencer César ?

Mise à jour le Lundi, 12 Avril 2010 18:12