Le but de la manoeuvre Imprimer

Le but de la manoeuvre

 

Monsieur Bouveresse commençait sa leçon au Collège de France, retransmise sur France Culture le jeudi 5 juillet 2007, en posant le problème suivant : comment savoir de l'extérieur si dans une chambre fermée se trouve ou non quelqu'un. Il y a deux solutions sans prétendre vouloir être exhaustif : ouvrir la porte ou écouter à celle-ci.

Devant Alésia, César était-il sûr que Vercingétorix s'y trouvait? Ce problème n'est pas, en l'occurence, que l'expression d'une vaine réflexion "en chambre", mais celui qui a dû se poser à César devant Alésia. Sa principale préoccupation était de mettre Vercingétorix hors d'état de nuire et donc soit de le tuer soit de s'en emparer, ce qui en ferait un ornement non négligeable à ses triomphes futurs à Rome (ce sera le cas) plutôt que l'asservissement d'une multitude terrifiée de Gaulois, dont une partie d'ailleurs, à la fin du siège, les Arvernes et les Eduens, sera renvoyée dans ses foyers. "Il y avait la sauce, y avait-il le lapin? " (A. France vu par Rodin).

Certes César en arrivant devant l'oppidum des Mandubiens, savait que s'y trouvait l'inamical et si séditieux Arverne mais après la fuite de la cavalerie gauloise, étrillée une troisième fois, ici devant la place (VII-70), rien ne lui garantissait que Vercingétorix ne s'y était pas joint.

Lorsque César (VII-I9), durant le siège d'Avaricum, veut affronter l'armée gauloise, il le fait en l'absence de Vercingétorix et de sa cavalerie; cela vaudra à l'intéressé quelques ennuis à son retour : il sera accusé de trahison. Des spécialistes dont M. Goudineau, ont d'une manière plus générale, évoqué cette éventualité. Comment ne pas être effleuré, comme eux, par l' ombre d'un doute ?
On n'invoquera pas Bazaine, cher aussi à Napoléon III, mais quand même Pausanias : "Pausanias, cum, Byzantio expugnato, cepisset complurer Persarum nobiles atque in his nonnullos regis propinquos, hos clam Xerxi remisit. (Nepos)".

Le discours prêté par César à Vercingétorix pour se justifier (VII-20) n'exclut pas une volonté de celui-là de démontrer que celui-ci n'était pas un traitre. Où serait le mérite du vainqueur si son adversaire avait été son complice ? Un détail surprend dans le choix du camp gaulois près d'Avaricum.

Dans un premier temps, Vercingétorix (VII-16) choisit un camp à 24 Km de Bourges (millia passuum XVI), protégé par des forêts et des marécages (locum paludibus silvisque munitum VII-I6-I). Puis ayant épuisé le fourrage proche de ce camp, il en installe un autre plus proche d'Avaricum. Son plaidoyer pro domo souligne sa connaissance du terrain (VII-20- 3 et 6) qui a permis d'installer le camp à un endroit qui se serait défendu lui-même sans besoin de construire des fortifications et que, si traître il y avait, il pouvait être remercié d'avoir connu cet endroit dominant. (Le premier camp a été situé aux environs de Vierzon, le second à St Just au confluent de l'Yevre et du ruisseau Villabon. Benoist note I-VII-18). Or lorsque les Gaulois, privés de leur chef, apprennent l'arrivée des Romains (VII-18-3), ils cachent leurs chariots au fond des bois et rangent leurs troupes en ligne de bataille à un endroit élevé et découvert.

Il n'est pas question du camp choisi par Vercingétorix ; de plus on s'attendrait à ce que les chariots gaulois soient un élément défensif du camp initial ou alors les Gaulois avaient plus confiance en leur choix qu'en celui de Vercingétorix. Ce serait des prémices à l'accusation de trahison. Et César lorsqu'il entreprend de marcher contre eux devait savoir quel était leur retranchement. Il a l'air de découvrir sa nature en y parvenant. Il ne s'engageait qu'à coup sûr écrit Suétone. (L'erreur de Flaminius à Trasimène restait dans toutes les mémoires.)
"Haec est nobis ad Trasumenum pugna atque inter paucas memorata populi romani clades" (Tite Live livre XXII-7-I).


César depuis le siège d'Avaricum savait que l'armée gauloise pouvait se passer de son chef : elle se montrait meilleure qu' à l'ordinaire dont on ne dissociera pas Gergovie où elle fut "indigne de son succès".

Les Germains, voir les Teuctères et les Usipètes, semblaient moins aptes à se passer de chef, puisque le cas étant advenu, ces deux peuples furent presque anéantis par les légions sans avoir su s'organiser (430.000 morts IV-4-5 Benoist et 15-3).

César pouvait-il savoir "ex perfugis et captivis"(VII-72) si son adversaire se trouvait encore à l'intérieur de l'arx (Vercingétorix, ex arce Alesiae suos conspicatus, ex oppidom egreditur VII-84-I)? Ceux-ci pas plus que les guerriers d' Ambiorix captifs (VI-43-4) ne pouvaient être une source d'information véritablement fiable surtout au sein d'une armée de 80.000 hommes et alors qu'ils pouvaient être trompés ou se tromper.

César avait besoin d'une certitude qui l'amenât à prendre Alésia et non le risque que son adversaire se soit échappé pour mener campagne dans son dos avec une nouvelle armée et sa cavalerie.

Vercingétorix ne doutait pas de l'intérêt que lui portait César et aussi d'être secouru. Il savait qu'il était un véritable appât pour César, dont le dilemme était soit de lever le siège soit d'être bientôt encerclé lui-même. C'était bien vu mais fallait-il encore qu'il fût cet appât. César devait être sûr de son fait pour que l'Arverne soit certain de l' attirer dans la nasse . Entrer dans la "chambre" ?

Oui, mais précisément parce que César n'ignorait pas qui se trouvait dedans : Vercingétorix d'Alésia s'est montré aux regards romains. En restant fit-il le bon choix ? Si on considère le résultat, le doute est permis. Dans Alésia, comme Hannibal à Zama, il savait qu'il allait à un échec sauf aide extérieure, qui en définitive n'y changea rien, contraste saisissant avec la confiance, aveugle certes, du chapitre 66 (VII). César qui, grâce à l'illustre A.Gnipho, devait bien connaître Diodore, se contenta peut-être de penser que rien n'est possible que ce qui doit nécessairement arriver
.
Ce sacrifice trouvera un écho en Judée avec l'exécution ordonnée par le procurateur Pilate.