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LA LETTRE VOLEE

(D'après C. Scudéri : entre social et individuel)


Il arrive que soit mis en évidence ce qu'il a été décidé de cacher. Ce fut un principe de décoration d'appartement de Madame Castaing et du ministre peu intègre de la nouvelle "La lettre volée" d'Edgar A.Poe. Fut-ce aussi l'intention des inscriptions de la plaque trouvée sur l'emplacement de l'antique temple de Montmarte ? (Au dieu ? grâce aux oboles et à Julius).
L'inscription offerte au regard de tous se dérobe derrière une première signification (Au dieu ? grâce aux oboles et à Julius) par la vertu d'une homonymie et d'un hendiadis : grâce aux troncs de Julius. Le temple a été construit au troisième siècle après Jésus-Christ, environ 3 siècles après le siège d'Alésia. Julius, les stipibus ne devaient avoir qu'une résonnance nulle ou quasi nulle auprès de l'ensemble des contemporains. Et encore ce contemporain devait-il être rare au sommet sélectif du Montmarte. La réfutation s'empressera. Elle observera ceci : pourquoi voulez-vous que ce sens caché ait été dévoilé à l'époque alors qu'il ne l'est pas par les élites savantes depuis 150 ans qui ne Sursautent pas même à l'ablatif stipibus ?

La question est embarrassante et n'implique pas une réponse à coup sûr indiscutable. Tout au plus peut-on invoquer une similitude de situation entre la possible ignorance antique et celle plus contemporaine des partisans d'Alise. Cette similitude peut être considérée historiquement comme une répétition des situations.
Elle peut aussi être considérée, si on se réfère à la lettre volée, comme une répétition des sujets telle qu'elle est employée dans un contexte lacanien. On voit une répétitivité contingente assimilée à un processus psychique qui n'a d'autre réalité que cette confusion exclusive de répétition du comportement objectif de plusieurs intervenants. L'aléatoire rejetant l'alternative peut-il faire la loi ?

Lacan assimile la reine au ministre dans leur confiance en leur cachette : La reine sait qu'elle a dupé le roi mais quand arrive le ministre la lettre cachée au roi avant ne l'a pas été à lui. Il n'y a là aucune symétrie. La même organisation de deux scènes de vol de la lettre repose sur une prétendue volonté de la reine de cacher la lettre au ministre alors que sa ruse ne vise que le roi. La reine a caché la lettre avant l'entrée du ministre dans le boudoir, n'a jamais eu l'intention de la lui dissimuler par conséquent et sait parfaitement qu'il l'a dérobée mais en présence du roi ils se retrouvent complices de facto par leur silence.
Ce décryptage des comportements de la reine et du ministre encore une fois n'est pas celui de Lacan et semble bien loin des préoccupations alisiennes. Pourtant  Alise ne survit-elle pas non par grâce à Alésia mais par une volonté de prendre ses désirs pour des réalités comme le faisaient les Gaulois ? On est tenté de penser que Lacan suit cette voie.

Le maquillage de la plaque du temple de Montmarte et celui de la lettre volée sont de même nature en étant constitutifs de leurs supports et de la voie évidente,  celle suivie par Dupin qu'il trace vers leur secret. La reine n'induit pas du tout de la réussite de sa ruse avec le roi une répétition de celle-ci avec le ministre. La cachette à ses yeux n'est pas bonne en soi mais seulement à l'égard du roi qui la justifie.
Cette erreur de lecture a sans doute des conséquences productives ce qui n'enlève rien à ce qui vient d'être objecté. (position II p.7).
La position III confirme la persistance du contresens. La reine ne pense pas que sa cachette est bonne sauf à l'égard du roi puisqu'elle voit le ministre partir avec la lettre et le ministre le sait ce qui rompt la causalité pseudo mécanique de la déduction.

Peut-on tenter un rapprochement avec trois stades de l'histoire du temple et l'hypothèse de deux lectures de la plaque en insistant sur la légitimité de chacune  d'elles. Les constructeurs du temple savent qu'ils vont égarer leur monde 300 ans après la prise d'Alésia : le stips est inconnu et Julius ne vaut guère mieux.
Mais les constructeurs, pas plus que la reine, ne savent quelles seront les ignorances futures.
Les destructeurs du temple annulent tout sens comme la police dans la nouvelle de Poe exclut la possibilité de l'évidence de la lettre.
La lettre volée porte-t-elle en soi son destin qui est d'être dérobée lorsqu'il lui est donné un autre sens en y voyant ce qui n'y est pas ? Ce même sort est celui de la plaque dont une traduction anodine efface la signification topique.

Le moteur à trois temps de Lacan (cf. C. Scudéri)

Ce que Lacan dégage du récit, c'est une même structure sous-jacente se composant de trois positions distinctes chacune définissables par trois regards distincts (et trois temps)
-    position I : celui qui ne voit pas ce qui se passe sous ses yeux = l'imbécile (le roi dans la première scène puis la police dans la seconde),
-    position II : celui qui voit que le premier ne voit pas et qui de ce fait pense que ce qu'il a à cacher (à savoir la lettre) est bien caché = le présomptueux bien trop sûr de lui (la reine puis le ministre),
-    position III : celui qui voit que le second pense que ce qu'il a à cacher est bien caché du fait que le premier ne voit pas et qui de ce fait se saisit de ce qui a à saisir à savoir la lettre = le malin (le ministre puis Dupin)

 

La transcription ci-dessus de l'exégèse consacrée à la lettre volée évoque l'imbécillité du roi, la fatuité de la reine : la reine dès que le voleur est voleur  (se fait voleur) sait qu'elle est à sa merci. Son stratagème a réussi avec le roi à qui il était destiné, échoue avec le ministre dont la présence incidente excluait qu'il lui fût destiné. En revanche il est tout à fait exact que c'est par une répétition du stratagème de la reine que la ruse du ministre a fait sien, que la lettre échappe au préfet et à ses argousins. Il y a plus une répétition d'un procédé que de situation psychologique mais là n'est pas ici le sujet.

En considérant que le roi est un imbécile l'analyse annule l'habileté de la reine. Or si le roi est un sot tout l'intérêt de la nouvelle, son ressort s'affaisse.
La reine a un réflexe réfléchi étonnant de calme et de lucidité. Le ministre félon a le temps de préparer son piège. Ce qualificatif d'imbécile décerné au roi crée un clivage peut-être propitiatoire de la part de l'auteur : le roi n'est pas tout le monde et en particulier le lecteur qui n'est pas un simple témoin pris dans la foule: dans la foule des imbéciles, (si l'on quitte M. Scuderi) pris au piège du voyeur qui  regarde le voyeur, justifie la nouvelle, alors même qu'il se sent presque l'égal de Dupin, se répète à l'infini dans le "je" de glace mis en place par Poe.
La reine est habile et nous sommes tous des rois et non des Dupin. Consolons nous en sachant que cette reine habile ne tombe pas sous le coup du jugement de  Vauvenargues "C'est être médiocrement habile que de faire des dupes".

La nouvelle de Poe repose sur un choix de la reine qui aurait pu échouer mais ce choix par cette pénétrante tactique nous égare, car contrairement à notre  perception de nous mêmes qui nous fait de dignes associés de Dupin, nous sommes tombés dans le piège que nous a tendu Poe.

Tout  le monde suscite le piège parce qu'il y tomberait. Tout le monde sauf bien entendu, le lecteur qui est la preuve qu'il est plus tout le monde que tout le monde et son identité. IN EO IPSO LOCO QUO REPPENEDIT IMMITIT IMPRUDENS SENARIUM. Se moquer du roi c'est se moquer de soi.

Oserait-on prétendre qu'il existe un rapport dans ces remarques avec le texte de la plaque du Montmarte ? Évidemment aucun pas plus qu'une lettre maquillée chez le ministre n'en a avec l'objet des recherches du préfet (avec la vigilance alisienne). Et pas plus que ce Julius, seul César tant qu'il fut le premier, et cesse  d'être le seul lorsqu'ils sont douze, cessant d'être César pour être le seul qui fut Julius. Ces moutons vigilants de la sottise conventionnelle contredisent les  quelques remarques précédentes. Le roi n'est pas comme les argousins. Ce n'est pas un sot comme eux, piétaille à souliers cloutés, bêtifiant aux frais du ministère.

On a opposé à l'auteur de ces lignes qu'est lui-même l'objet d'un certain aveuglement car il n'a aucune chance de retenir l'attention d'un corps enseignant sûr à terme du succès de son inertie. Cette observation est d'autant plus justifiée que ce professorat, qui n'a d'autre perspective que son propre renouvellement a  consacré sa stérilité par la débâcle de l'enseignement du latin malgré ses tentatives pour s'exonérer de cet aboutissement lamentable.


Mise à jour le Samedi, 11 Avril 2015 17:06