Inventer de nouvelles erreurs Imprimer

"Inventer de nouvelles erreurs" (Lichtenberg)

nouvelobs1

Le Nouvel Observateur, suivant la trace du Point déjà à la pointe de l'actualité par les innovantes erreurs qu'il avait publiées sur le sujet, a consacré un numéro spécial à Alésia daté de juillet/août 2011. Dans ce numéro il a fait appel aux signatures consacrées en la matière dont Monsieur le Professeur Michel Reddé. Un petit encadré de l'hebdomadaire, présente l'historien et archéologue qui mena des fouilles à Alésia pour confirmer que ces fouilles à Alésia confirmaient bien qu'Alésia était à Alise.

 

 


"On sait" aujourd'hui que César a pris des libertés avec la vérité historique. L'indéfini "on" tolérerait-il d'autres interprétations ?
Remarquons cependant que ce "on" soupçonneux doit être plus malin et mieux informé que le sénat et Pompée à la fois et qu'une erreur quelle qu'elle soit entraîne une méfiance générale sur l'ensemble du récit.


En 58 César n'est plus un jeune homme (celui qui inquiétait Sylla) : à 41 ans Wagram est derrière Napoléon, Alexandre est mort depuis longtemps. César est devant huit ans de guerre : plusieurs fois il croit les cendres froides et le feu couve.
A-t-il sauté sur l'occasion ? Il était tout à fait capable de la susciter. Il aura besoin d'une armée, d'argent et cette expérience qu'il acquiert lui sera utile face à Pompée : rappelons que plus tard Lucain en fera la cause principale de sa victoire durant la guerre civile, face à un Pompée un peu rouillé.

Il n'est pas certain que M. Reddé souscrirait à ce qui vient d'être évoqué, dont il ne parle pas. En revanche M. Reddé trouve mystérieux l'épisode de la migration helvète. Évidemment si on ne tient pas compte de César et plus particulièrement d'Orgetorix qui est la cause initiale de cette migra¬tion, l'affaire en effet peut paraître mystérieuse.
Orgetorix, de haute naissance et fort puissant veut tout simplement conquérir la Gaule arguant de la supériorité incontestable des Helvètes sur les autres Gaulois (hormis les Belges) en matière militaire. Il ne s'agit pas simplement de s'installer au bord de l'Océan, cela va plus loin que ce qu'en dit M. Reddé.


Pourquoi devrait-on trouver plus surprenant ce projet helvète que plus tard celui de Vercingétorix ? Les Helvètes certes seront battus mais s'en tireront moins mal que les Gaulois d'Alésia. M. Reddé s'étonne de l'absence de ruines en Suisse consécutives à la destruction des maisons, villages, oppida. Mais si les Helvètes sont revenus chez eux n'ont-ils pas reconstruit les bâtiments détruits ? Autant rechercher les ruines de l'ancienne Lutèce détruites par les Parisiens ? César mentionne l'extermination des Tigurins. Le fait ne paraît pas contestable (L.I -12), affaire qui lui tenait à cœur.

 

Enfin pourquoi aurait-il rapporté l'épisode du L.I ch.29 de la numération des peuples helvètes ayant participé à la migration ?
M. Reddé devrait d'autant moins s'étonner de cette migration helvète que les Tigurins avaient tenté jadis de quitter seuls leur pagus.
"cum domo exisset patrum nostrorum memoria" (L.I ch.12 Paragraphe 5).

Enfin M. Reddé perd une occasion de prendre César en faute : ce serait Labienus qui aurait remporté ce succès sur les Tigurins, suivant Appien et Plutarque (note Benoist).
Dès le chapitre I du livre I, César écrit que les Helvètes sont continuellement en conflit avec les Germains et au second qu'ils trouvaient leur territoire trop étroit pour leur force et leur gloire.
Les Helvètes jugeaient leur territoire trop étroit pour eux (trop étroit et non pas simplement "n'était pas en rapport").
Dès lors que les Helvètes décidaient de partir ce ne pouvait être que vers l'ouest; le Rhin large et profond les séparait des Germains avec qui ils combattaient presque quotidiennement sans résultat décisif.

Débattre de l'affaire helvète sans tenir compte de son initiateur Orgetorix ajoute certes au mystère de même que l'absence de Vercingetorix rendrait très obscur la révolte des Arvernes. Est-ce si étonnant que les Eduens aient pu appeler César au secours ?


Les Eduens comme les autres Gaulois étaient fort divisés. Si une partie d'entre eux refusait Rome l'autre réclamait César.
Et la suite du récit le montrera (Cf VII-37) : Complot formé par Convictolitavis et Litaviccus pour détacher les Eduens du parti de César.

Cet appel à l'aide formulé par les Eduens correspond à la logique de leur comportement. Celui-ci n'a rien à voir avec une prétendue légende
imaginée ex nihilo. De toute façon le sénat et Pompée n'ont pas attendu de telles révélations pour avoir plus que des doutes, des craintes à propos
des motivations de César.

César avait-il prévu une guerre aussi longue ? Il savait certainement qu'elle devrait durer jusqu'à ce que Pompée et le sénat fussent "mûrs". Des signes tel que l'épisode Clodius-Milon situaient l'urgence des circonstances. Cela dit César a donné à la guerre des développements imprévisibles : voir les expéditions outre Rhin et Manche.
La guerre des Gaules était rentable pour les soldats (voir les conséquences tragiques du choix des bagages dans l'affaire Cotta-Sabinus.
Voir aussi la rentabilité des prisonniers vendus à l'encan par César).


"Les Gaulois n'avaient pas de conscience nationale au sens moderne du terme". Ils avaient une conscience territoriale et de leurs lois. Le discours de Critognatus (VII-77) indique combien il connaissait le risque romain d'asservissement du peuple sinon de la nation gauloise.
La première année de guerre est menée contre les Helvètes et Ariovist. Les Gaulois en auraient été incapables comme aupara¬vant Cimbres et Teutons avaient été exterminés par Marius mais les Gaulois n'avaient pas été des participants directs.
Les Gaulois n'ont compris que tard, en 52, Vercingetorix a enfin mis sur pied la tactique de la terre brûlée. Pourquoi y a-t-il renoncé pour s'enfermer à Alésia ? Après sa défaite du L.VII ch. 67, pourquoi ne secourt-il pas sa cavalerie ? Mystère : Il avait une petite avance sur César, pourquoi n'a-t-il pas rallié Gergovie ? Ici on peut parler d'un accommodement de César avec la vérité (LVI1 ch.35) César trompe la vigilance de Vercingétorix, passe l'Allier pour le rejoindre mais ne l'empêchera pas de s'enfermer dans Gergovie. Les Gaulois ont affronté les Romains dans des batailles rangées.
On peut rappeler parmi les plus connues la bataille navale contre les Venètes, la bataille d'Ambiorix contre Cotta et Sabinius, le siège d'Avaricum, mais on ne constate pas qu'il y ait eu une guerilla. C'est avant l'intervention de Vercingetorix qui s'en rapproche avec la tactique de la terre brûlée.

Gergovie voit l'affrontement des deux armées, celle des Romains étant réduite de moitié. L'affaire est grave mais pour les Gaulois incapables de profiter de leur succès.
Où M. Reddé a-t -il trouvé qu'à Alésia les légions romaines n'ont pu résister ? (1)

Le piège a été tendu par César quand il a décidé la construction des circonvallations. Les légionnaires connaissaient poste par poste leur attribution face aux assiégés affamés (César savait qu'ils n'avaient guère plus d'un mois de vivres.)
Un point doit être noté : Jamais (selon César) les Gaulois ne gagneront une bataille de cavalerie dans le VII livre contre les Romano-Germains et cela les découragera (Il y eu 4 batailles de cavalerie).
Le massacre des quinze cohortes de Cotta et Sabinus sont le résultat d'une tactique intelligente d'un chef gaulois Ambiorix et de son armée, celle d'un petit peuple les Eburons ce qui surprit tout le monde. L'hibernation des légions conduisait au risque perçu par Ambiorix.
César, selon M. Reddé, se retrouve en position d'assiégé alors qu'il est assiégeant. Pauvre César ... La vérité est que César sait qu'à l'arrivée de l'armée de secours la garnison sera affamée. Il connaît leur réserve, environ un peu plus d'un mois. S'il avait voulu quitter Alésia il pouvait le faire sans problème. C'est donc lui qui tend un piège et la suite des événements en prouve l'efficacité.

Les historiens qui suivent l'analyse de M. Reddé devraient quand même savoir que César était très soucieux de la vie de ses légionnaires et qu'il aurait trouvé "monstrueux" de sa part qu'il en soit différemment. Voir les chapitres 19 et 51 du livre VII. Rappelons que le récit "césarien" s'achève en 52 et qu'en 51 Hirtius tient la plume.
Et pourquoi employer le terme indigène ? Même si c'est vrai c'est faux (H. Michaux). C'est le terme qu'employait Albert Sarraut à l'égard des Indochinois. Barbare suffit.

 

Ces déductions historiques sur les faiblesses de César sont du même ordre que celles qui conduisent à voir Alésia en Alise. L'armée de secours avait flotté à Alésia ce qui autorise bien à couler à Alise.

 

" Concentrer un si grand nombre d'hommes en un seul lieu représente une tâche extrêmement, lourde en terme de logistique".
Le lecteur est quand même impressionné : il se rend compte qu'il a affaire à un spécialiste. D'autant que César, décidément incorrigible écrit le contraire.
Ce n'est rien de se tromper si de plus on néglige de dire le contraire de la vérité. Le problème de César n'est pas la concentration de ses troupes mais leur considérable étirement : des contrevallations de 14 Km, (VII-69-6) et des circonvallations de 21 Km (VII-74-1) suggèrent à l'évidence cet étirement. Mais de surcroît César le précise à deux endroits : "quoniam tantum esset necessario spatium complexus, nec facile totum corpus corona militum cingeretur " (VII-72-2),  "puisqu'il fallait autant d'espace pour l'ensemble des fortifications et qu'il n'était pas facile d'entourer un tel ouvrage par un cordon de troupes " et VII-74 : "afin que pas même avec un très grand nombre d'assaillants les garnisons des fortifications puissent être encerclées. " César bien loin de concentrer ses troupes veut, malgré leur insuffisance, empêcher les Gaulois de ceindre complètement son dispositif.(2)


Les considérations à propos des lieutenants de César paraissent discutables en donnant à penser que les nominations par César sont circonstancielles alors qu'elles sont le fait du Sénat. En tout cas il s'agissait d'hommes de grande valeur pour la plupart : Labienus était capable de remplacer César (legatus pro praetore).


Quant à l'incompétence de Plutarque et Pline l'Ancien en matière de chiffres laissons-en la responsabilité à M. Reddé. Notons que César avait sous ses ordres le frère d'un auteur historien à ses heures qui savait fort bien compter : voir les Verrines.

On peut aussi penser que la Gaule qui avait été sensible à l'influence amollissante de la Province n'a pas dû être très longtemps étrangère à ses mœurs.
La population gauloise dans sa grande majorité était misérable. Alors Rome ...


De toutes les révélations de M. Reddé, la plus définitive, si l'on peut dire , est la première.
César serait le seul à évoquer le projet helvète. C'est inexact puisqu'on a vu que Plutarque et Appien attribuent la victoire sur les Tigurins à Labienus.
Si les Tigurins étaient en train de traverser la Saône c'est qu'ils étaient en Gaule et ce n'est pas le seul César qui en a parlé. Le projet helvète d'installation en Gaule n'était pas le premier puisque lors de l'invasion des Cimbres et des Teutons ils avaient déjà voulu quitter leur pagus. (Défaite de Cassius).

 


 

(1) C'est au camp nord que la situation fut la plus grave pour les Romains mais Labienus réagit avec sang-froid et sans que les lignes romaines fussent enfoncées. "Labienus, postquam neque aggeres neque fossae vim hostium sustinere poterant,coactis una XL cohortibus quas ex proximis praesidiis, deductas fors ebtulit, Caesarem per nuntios facit certiorem quid faciendum existimet. Accelerat Caesar ut proelio intersit." (Livre VII ch.87 paragraphe 5)


(2) On ne voit pas au demeurant pourquoi cette concentration à Alésia serait une tâche plus lourde que celle de l'armée pendant les étapes et aux camps à leur fin.

 

 

Mise à jour le Lundi, 17 Novembre 2014 18:14