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Avaricum

 

« Il faut se demander si le siège de Bourges n'a pas occupé la place centrale au sein de la stratégie de Vercingétorix » ( Vercingétorix p.297 , Christian Goudineau).  Il s'agissait d'immobiliser les légions affamées devant la ville en la leur "offrant" alors qu'épuisées, elles auraient à soutenir les assauts de l'armée gauloise. Douze lignes plus bas, l'hypothèse devient affirmation: « Les plans de Vercingétorix échouèrent pour plusieurs raisons ». Dans une première assemblée, Vercingétorix avait défini sa stratégie puis dans une deuxième, la décision de ne pas brûler Avaricum avait été prise contre son avis à la suite des supplications des habitants. Mais ce second conseil de guerre s'était tenu quand les Gaulois s'étaient aperçus que César ne se dirigeait pas vers l'est, vers la Loire, mais au sud vers Bourges (note 2 p.220 Constans ; traduction utilisée par Christian Goudineau). Pour que se vérifie l'hypothèse d'une stratégie sous‑jacente de Vercingétorix, il aurait fallu que ce fût lui qui attirât César vers Bourges. Or, César prend sa décision (VII‑13) avant les deux assemblées tenues par Vercingétorix. César ne marche pas sur la ville parce qu'elle est épargnée mais elle est épargnée malgré qu'il marche sur elle. César prend sa décision avant que les Gaulois ne prennent la leur. (VII‑14 et 15).


Cette stratégie de l'appât eût confronté Vercingétorix à l'alternative suivante :
- soit César ne prenait pas Bourges et Vercingétorix se retrouvait au chapitre 13, livre VII (défaite de Noviodum) compte tenu que, peu enthousiaste à l'idée d'un affrontement de son infanterie avec les légions (voir aussi V11‑64‑2), il venait de plus de constater que sa cavalerie était moins bonne que la cavalerie romano‑germaine.
- soit César prenait la ville et les sacrifices des Gaulois auraient été perdus. Il avait donc beaucoup plus à perdre qu'à gagner en épargnant Bourges.

Le plan de Vercingétorix subit des hypothèses de la part de C. Goudineau qui non seulement contredisent César mais tentent de donner une cohérence au désastre final en y introduisant des choix propres à y conduire alors que les sièges d'Avaricum, de Gergovie, d'Alésia vont à l'encontre du dessein de l'Averne. Pourquoi ne pas imaginer une arrière pensée chez César dans son retrait vers la Province quand on se rappelle que Montmort (‑58) fut remportée alors que, renonçant à la poursuite des Helvètes, il se dirigeait sur Bibracte pour s'y ravitailler ? (Tactique de Foch à la deuxième bataille de la Marne en 1918 par exemple.)

Il me semble que la lecture de M.Goudineau est parfois un peu large. Ainsi, les quatre lignes consacrées à la prise de Bourges (p.296) : « Les guerriers gaulois qui avaient prévu des chemins de fuite, furent trahis par les cris poussés par les mères de famille voyant que leurs compagnons les abandonnaient. Entrés dans la ville, les légionnaires déclenchèrent un épouvantable massacre. » En fait C. Goudineau emmêle les chapitres 26 et 27 du livre VII. C'est le lendemain que César donna l'assaut en voyant (et 1' auteur nous prive d'une des anecdotes les plus étonnantes des Commentaires et des plus graves en conséquences), que la pluie avait dégarni les remparts de la ville.

Il n'en reste pas moins que les Gaulois auraient pu être partagés entre l'application de la stratégie de Vercingétorix et celle de prendre César au piège à Bourges, à Gergovie, à Alésia, puisque au demeurant les sièges eurent lieu. Qu'en feront‑ils ? Rien. Et ce rien, Vercingétorix l'avait sans doute prévu. César tendait, tout en la redoutant, vers cette fixation favorable aux Gaulois. Voir, par exemple, les précautions qu'il prend pour ne pas être tourné lors de la campagne contre les Belges au moment de l'installation de ses camps au bord de l'Aisne (II‑5‑5). Voir la crainte de Labienus, lors de sa campagne victorieuse de Lutèce, d'être pris à revers par les Bellovaques, ou encore (VII‑43‑5) : « Ne ab omnibus civitatibus circumsisteretur, consilia inibat quem ad modum a Gergovia discederet » « . . . etc. » ; « Afin de ne pas être enveloppé par tous les peuples (gaulois), il prit le parti de s'éloigner de Gergovie . . . . etc. ». Cette fixation sera accomplie entre contrevallations et circonvallations à Alésia. Au fond, ces succès tactiques des Gaulois se retournaient contre un plan dont ils auraient été l'aboutissement. Vercingétorix l'avait sans doute prévu et dans ce sens, il donne a contrario raison à C. Goudineau mais aussi au risque de se retrouver au chapitre VII-20, celui de la trahison, sa répugnance à l'engagement direct pouvant être jugée suspecte par les Gaulois.

C. Goudineau juge que les arguments des habitants d’Avaricum en faveur de la sauvegarde de leur ville, cités par César , ne sont guère convaincants : la ville ne méritait pas qu’on la préservât. S’il s’agissait d’Athène, Syracuse ou Rome, oui….
N’est-il pas permis d’hésiter à suivre le professeur Goudineau sur cette voie d’autant plus que le meilleur appui en l’occurrence de cette hésitation n'est autre que lui qui affirme (dernière page de son Vercingétorix la 331) que la civilisation gauloise soutenait la comparaison avec les plus avancées en Europe. On ne voit pas pourquoi les villes n’entreraient pas dans les critères de comparaison  alors que César trouvait les oppidum d’un bel aspect. (VII-23)

La prise d’Avaricum a sans doute contribué à effacer le souvenir du succès remporté par l’armée gauloise au chapitre 19 du livre VII, si on considère que c’est un succès de faire déguerpir l’ennemi. Vercingétorix opère une diversion avec cavalerie et expediti (VII-18), César l’apprend de prisonniers. Il part attaquer les gaulois pendant cette abscence. Il renonce craignant des pertes importantes. Les légions repartent sous les huées des gaulois , furieuses de ce qu’elles considèrent comme une dérobade honteuse. A Valmy les soldats de Dumourier et Kellermann, malgré l’absence d’affrontement , considérèrent qu’ils l’avaient emporté glorieusement. Pourquoi le refuser aux gaulois en dépit de l’absence de Vercingétorix ? Comme à l’égard d’Ambiorix un silence épais entoure ce succès qui pourrait faire de l’ombre à Vercingétorix et de fait à Alise, lieu de culte officiel.
Cette réussite des gaulois n’est elle pas plus méritoire que celle de Gergovie au moins pour trois raisons :

  1. Ici l’armée romaine est au complet au lieu des six légions présentes à Gergovie.
  2. La position est moins forte qu’à Gergovie.
  3. Au contraire de l’armée romaine celle des gaulois n’était pas au complet. La cavalerie était abs ente, (sine equitibus deprehensis hostibus).  (VII-52-2)

A Saint –Just (Cher) l’armée gauloise est bien en peine de poursuivre de par la situation créée par Vercingétorix : Il ne laisse aucun chef pour le remplacer. On sait qu’à son retour cela va lui créer quelques problèmes.
Le souvenir de sa prudence à St Just servira à César d’explication aux légions (VII-52-2) de son recul à Gergovie où le succès des Gaulois fut aussi une conséquence de leur succès près d’Avaricum.